Entretien avec Daniel Neuhaus, directeur du Bureau francophone de l’Association Internationale des Ecoles Chrétiennes

281 lectures, par nicolas le 23 juillet 2010 · 0 commentaire

dans la rubrique Education chrétienne, homeschooling, Mission et évangélisation, Problématiques chrétiennes

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Le passage des enfants chrétiens dans les écoles publiques les vaccine souvent contre l’évangileDaniel Nehaus, directeur du Bureau francophone de l’ACSI, a bien voulu répondre à quelques questions pour le site blogdei. Entretien.

Nicolas Ciarapica : Daniel Neuhaus, depuis combien de temps t’occupes-tu de l’ACSI (Association Internationale des Ecoles Chrétiennes)? Comment t’est venue cette vocation?

Daniel Neuhaus : Je me suis toujours intéressé aux idées (j’ai étudié la théologie) et aux enfants ; mais depuis que j’ai 4 enfants, les idées viennent en seconde position. Cela fait plus de 25 ans que j’annonce l’Evangile et là, tous les moyens sont bons : radio, mission (en Afrique), écoles du dimanche et écoles chrétiennes… Parmi les différentes carrières de ma courte vie, celle d’enseigner les enfants selon une perspective biblique du monde, et d’encourager et former des enseignants chrétiens dans leur noble tâche est la plus gratifiante ! L’ACSI a 32 ans d’existence, et le bureau francophone que je dirige a seulement 3 ans. Site général : Acsi.org (en anglais) et site européen avec pages en français sur Acsieu.org

N.C. : Comment fonctionne ton association au niveau international et quels en sont les buts?

D.N. : L’ACSI (acronyme anglo-saxon pour The Association of Christian Schools International) en français ‘L’Association Internationale des Ecoles Chrétiennes’ est un des plus grands réseaux mondiaux d’écoles privées évangéliques et protestantes (notamment aux Etats-Unis) mais également dans une centaine de pays avec plus de 5000 écoles membres, 70 000 enseignants et plus 1,2 millions d’élèves. L’ACSI fut créée en 1978 avec pour mission « d’équiper les enseignants chrétiens et leurs écoles de par le monde, afin de leur permettre de préparer efficacement les élèves et les étudiants pour la vie ». Elle offre donc un triple volet de services : 1) Promotion de l’éducation (scolaire) chrétienne au travers de conférences, de séminaires et de littérature et matériel pédagogique. 2) Formations diverses (pour enseignants administrateurs d’écoles et étudiants) notamment au moyen de conférences, séminaires… et 3) Consultations pour écoles et directeurs ou promoteurs d’écoles, et ce, à différents niveaux. L’ACSI est davantage un prestataire de services qu’une mission humanitaire ou d’évangélisation, mais force est de constater que dans les pays francophones (en général), le modèle missionnaire et humanitaire est demandé. Cependant, nous ne finançons pas d’écoles ou d’enseignants, mais offrons nos services, et les demandes sont nombreuses, surtout dans les pays d’Afrique francophone où les écoles protestantes et évangéliques se comptent par milliers.

N.C. : Comment est perçue l’ACSI par les autorités françaises?

D.N. : Il faut le leur demander… (rire) ! En tant qu’association de Loi 1901, nous ne faisons pas de politique ni de prosélytisme, mais il va de soi que notre vision de l’éducation (Dieu au centre de l’école) est aux antipodes de celle de l’Education Nationale (Dieu hors de l’école) ! Les écoles évangéliques françaises profitent de la liberté d’enseigner en tant qu’établissements privés, mais ne sont pas, à ce jour, sous contrat d’association avec l’Etat.

N.C. : Parlons maintenant d’éducation chrétienne. Penses-tu juste de mettre « le sel en bouteille »? Si nous sommes le sel de la terre, nos enfants aussi le sont !

D.N. : Excellente question et remarque. Non, le sel ne doit pas rester dans la salière, comme les enfants ne doivent pas rester continuellement dans leur cocon familial ou ecclésial. Cependant, dans quelle mesure nos enfants (issus de familles chrétiennes) sont-ils des témoins efficaces de l’Evangile (le sel de la terre), s’ils n’ont pas appris à aimer Dieu de toute leur pensée (intellect) et n’ont pas appris les meilleures façons de témoigner à notre époque postmoderne ? Des parents qui témoignent de leur foi : c’est formidable ! Cela est-il forcément vrai pour leurs enfants ? Dans combien de situations nos jeunes et surtout nos adolescents n’ont-ils pas honte de l’Evangile sur les bancs de l’école publique ou dans la cour de récréation ? Y a-t-il de la place dans nos écoles laïques pour un témoignage chrétien ? Laïcité veut-elle dire neutralité en France ? Avant d’aller dans la soupe, le sel doit être ‘conditionné’ (tiens quel mot curieux !), donc sélectionné, purifié, mis en bouteille et transporté…. ! Cela me rappelle que Moïse, David, Samuel, Jean-Baptiste et même Jésus ont passé leur formation à l’écart du monde, avant de devenir ces témoins puissants que l’on connaît. Envoie-t-on des soldats au front sans les avoir formés et entraînés ?
L’esprit, l’âme et la pensée de nos enfants doivent être formés dans une atmosphère de sécurité (nos enfants ne sont-ils pas précieux et vulnérables ; sans parler de sécurité morale et physique ?), de fraternité (tiens, j’ai déjà vu ce mot quelque part en France !), de vérité (qui incarne la vérité selon l’apôtre Jean ?), et de liberté (droit à la différence, au respect, aux erreurs) ? Nos écoles sont des lieux de paix, de liberté, de sécurité, à cause de l’Esprit de Christ. Qu’en est-il des écoles publiques ? Même Mme Georgina Dufoix (alors Ministre à l’époque) l’a clairement perçu et exprimé lors d’une visite d’une école chrétienne. Comment nos jeunes peuvent-ils argumenter avec les promoteurs de la théorie de l’évolution, et où vont-ils apprendre les vérités bibliques sur des questions d’éthique, notamment en matière de sexualité, s’ils n’en n’ont pas appris les fondements bibliques ? Nos enfants ne passent sur les bancs de l’école qu’une courte période de leur vie ; sachons donc choisir les bons bancs (Ps. 1.1-2 « Heureux l’homme qui ne s’assied pas sur…! »). Je me réjouis cependant pour tous les enfants chrétiens qui osent témoigner dans le public et dont la foi a été préservée, et pour les fidèles enseignants croyants qui n’ont pas tous les jours la vie facile dans leurs classes. Cependant, je déplore que pour nombre d’enfants de familles évangéliques, le passage dans les écoles humanistes les a vaccinés contre l’Evangile ; ou en ont fait de bons dualistes : ‘chrétiens’ le dimanche et ‘se coulant dans le moule du monde’ en semaine. Désolé de choquer, mais c’est ce que je constate très souvent !

N.C. : Lorsque je pense aux chrétiens et à certains fonctionnements en vases clos, je me demande s’il n’y a pas un dévoiement du message de l’Evangile… Par exemple, le coût de l’éducation chrétienne « de qualité ». Si un Vinet offrait au 19e siècle l’éducation aux défavorisés, une certaine « bourgeoisie évangélique » s’installe avec des tarifs prohibitifs. Comment lutter contre une telle dérive?

D.N. : Plusieurs choses : a) « Fonctionner en vase clos » : cela ne s’applique-t-il pas à certaines de nos institutions évangéliques ? Mais à force de se faire marginaliser et montrer du doigt, et ne représentant que 1% de la population, cela se comprend dans une certaine mesure ; même si Christ nous a demandé de faire luire notre lumière sur la place publique ! NON, les écoles chrétiennes n’ont pas pour vocation d’être des cocons à l’abri du ’grand méchant monde du dehors’. D’ailleurs elles ont fort à faire pour déraciner l’esprit du monde qui est déjà présent dans la tête et dans l’âme de nombreux enfants et qui continue de s’infiltrer par tous les côtés : publicité, musiques, modes, manuels scolaires, internet, conversations, clips, films, images, affiches et programmes TV….
b) le « coût d’une éducation de qualité » : ‘qualité’ rimant avec ‘cherté’, ‘gratuité’ doit-elle rimer avec ‘médiocrité’? Toute éducation a un coût : la question est de savoir qui paie ! Les nombreuses écoles privées catholiques sont subventionnées par l’Etat, les parents ne paient qu’un minimum. En Belgique, Hongrie et en Allemagne, les écoles chrétiennes sont presque gratuites, vu que les gouvernements prennent en charge les salaires des enseignants ! A ce jour, je n’ai vu aucune école évangélique française refuser des élèves à cause de la scolarité (trop élevée). Et je n’ai jamais entendu parler d’une certaine « bourgeoisie évangélique » en rapport avec ces écoles. La plupart des parents d’élèves de nos écoles ont des revenus modestes et se sacrifient pour pouvoir offrir une meilleure éducation scolaire à leurs enfants. Et je rends un vibrant hommage aux enseignants ‘missionnaires’ qui enseignent bénévolement ou pour de petits salaires ; ils auront une grande récompense ! Mais il n’est pas normal de payer deux fois pour l’éducation de nos enfants : avec nos impôts et pour les scolarités.
c) « offrir l’éducation aux défavorisés » ; quel beau programme dans l’esprit de l’Evangile ! C’est exactement le cœur de l’éducation chrétienne ; être accessible à tous ! Je lance un défi aux églises ; « ouvrez les portes de vos bâtiments et ouvrez vos bourses »; que n’investit-on pas dans des programmes pour adultes, alors que les enfants ont toute la vie devant eux… et sont enseignables ! Puissent nos écoles qui consentent à de grands sacrifices, et qui font l’impossible pour garder des frais de scolarité à un niveau « évangélique », être au large et pouvoir investir mieux et davantage ! A-t-on oublié que les trois quarts des chrétiens adultes ont rencontré Christ avant leurs 18 ans (statistiques US) ?

N.C. Une question pratique maintenant Daniel : comment devient-on professeur dans une école chrétienne?

D.N. : Les exigences académiques sont différentes selon les pays, cependant les directeurs attendent trois choses de chacun d’eux : être enseignant dans l’âme ; avoir une bonne formation (diplômes d’Etat ou compétences certaines); et être mû par une vocation quasi missionnaire ; bénévole ou petit salaire (bien qu’avec la nouvelle convention collective en France, ce point devrait évoluer). Je n’ai pas parlé d’un engagement et témoignage chrétien, ce qui va de soi. Une éducation de qualité requiert des enseignants de qualité à tous points de vue ! Y a-t-il des candidats ?

N.C. : Comment peut-on monter une école chrétienne? Tout est-il possible?

D.N. : Si je répondais à cette question en trois mots, cela porterait préjudice à la réputation des écoles. C’est en effet bien plus complexe que de monter une entreprise. Globalement : un projet/vision bien défini ; un comité fondateur ou directeur bien soudé et compétent ; une forme juridique reconnue (souvent association Loi 1901), une équipe solide, des locaux aux normes, des soutiens spirituels, relationnels et financiers, et surtout…. et avant tout…. beaucoup de prières et de détermination. Et cela n’est que la coquille… ; il faut des enfants et des parents qui s’engagent…Une école chrétienne c’est tout un programme ; mais un merveilleux programme ! Nos quatre enfants ont passé par deux écoles chrétiennes (mais aussi le public et le privé catholique). Ce fut extrêmement positif dans l’ensemble ; nos enfants ont la foi et une tête bien faite, ont étudié dans un cadre de sécurité et de paix ; cela valait quelques sacrifices pendant quelques années (collège à 50km du domicile, allers-retours quotidiens); sans regrets ! Oui, l’enjeu en vaut la peine : aider des enfants à connaître le Père et à entrer dans leur destinée…. et ce, sur les bancs d’une école chrétienne, et dès leur jeune âge !

NON, tout n’est pas possible ; ‘bricolage’ et ‘pas sérieux’ s’abstenir svp ! Nos enfants sont précieux et ils méritent ce que nous avons de mieux à leur offrir. Et tout n’est pas permis au regard de la loi, et heureusement ! Visons l’excellence, car notre Dieu est un Dieu d’excellence.
L’ACSI propose un CD-rom « How to Start a Christian School » de 177 pages. Prix:12 euros port compris. Voici un site qui donne des conseils pratiques : www.creer-son-ecole.com

N.C. : Revenons à l’ACSI justement. Quels sont les projets de développement de l’association ?

D.N. : Je ne parlerai ici que du bureau francophone que je dirige. Les projets ne manquent pas ; en plus des tournées de visites d’écoles francophones en France, Suisse et Belgique, et l’organisation du séminaire annuel pour directeurs et administrateurs d’écoles évangéliques ; nous avons un volet de traduction, d’édition et de diffusion de littérature qui prend beaucoup de temps et de ressources. Mais c’est surtout l’Afrique Francophone qui retient notre attention et une bonne partie de notre investissement : en août, 4 semaines pour les Formateurs en Pédagogie en Côte d’Ivoire, en septembre deux grandes conférences au Burkina Faso et au Tchad. Et le clou : ouverture d’un bureau ACSI à Kinshasa en janvier 2011, pour servir les 12.000 écoles protestantes de l’Eglise du Christ au Congo, et au-delà, en Afrique centrale.

N.C. : Les écoles chrétiennes ont une image quelque peu déformée, qu’en est-il en réalité ?

D.N. : Pour lever quelques ambiguïtés sur les écoles chrétiennes « évangéliques » francophones, il est bon de connaître ces quelques faits:
- elles ont toutes une existence légale et sont régulièrement contrôlées par les inspecteurs de l’Education Nationale.
– elles suivent consciencieusement les programmes officiels mais elles se réservent le droit de réinterpréter, à la lumière de la Bible, certains chapitres ou contenus académiques (par exemple : la théorie de l’évolution est enseignée en tant que théorie, de pair avec les théories créationnistes ; ainsi les élèves connaîtront les deux et pourront se positionner).
– tous les enseignants ont une autorisation d’enseigner délivrée par les Académies régionales. – tous les élèves scolarisés sont connus des services de Mairie …
- les résultats des élèves aux examens officiels sont souvent de 100% ou presque (mais les écoles sont trop humbles pour le crier sur les toits!)
– les élèves issus de nos écoles sont appréciés dans les établissements publics vu leur caractère (respect, ponctualité, discipline) et leurs bonnes connaissances. Il faut cependant ajouter que certains élèves rencontrent des difficultés d’inscription lorsqu’ils réintègrent le public. Nombre : env. 30 établissements évangéliques en France, Suisse Romande et Belgique Wallonne (1200 élèves). Il existe plusieurs associations francophones et sites d’écoles/éducation scolaire évangéliques : AESPEF En Suisse : Enseigner.org (plus de 2 millions de visiteurs depuis sa création).

Oui, les petites structures éducatives où Dieu apporte Sa présence et Son aide au quotidien ont assurément un atout indéniable, pour le plus grand bien de tous, parents, enfants et enseignants ; car c’est là qu’on forme les croyants acteurs d’aujourd’hui et surtout de demain, dans l’Eglise et dans la société ! Puisse la France retrouver ses 2000 écoles fondées sur la Bible (des 16e et 17e siècles) et que la vingtaine qui existe à ce jour puisse grandir et se développer !

Merci pour ces questions !


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